Les démarches de réparations et de soins collectives sont bien souvent portées par des femmes, et c’est à leur rôle et leur courage que rend hommage Carla Gueye avec son projet Corps Immergés. Celui-ci prendra place au sein des mangroves de la petite côte du Sénégal, région où l’ostréiculture artisanale, activité économique prédominante, compte 90% de femmes pour main-d’œuvre. Ouvrant des possibles sur l’usage de matières naturelles dans la création, Carla Gueye crée un ensemble de sculptures, basées sur la réactivation de savoir-faire délaissé de l’ostréiculture artisanale, qui permet d’observer les formes libres créées par la naissance des huîtres selon les courants et le milieu dans lequel les pièces se trouveront.
Derrière le bourg de pêche de Joal-Fadiouth dans la région naturelle du Sine-Saloum à 120 km au sud de Dakar, les eaux salées bénéficient d’un écosystème de mangroves exceptionnel qui regorgent d’huîtres. L’activité ostréicole ancestrale au Sénégal a joué un rôle économique et social essentiel dans le développement des communautés locales, majoritairement portées par des femmes dans des conditions souvent difficiles. Transmettant leurs connaissances et savoir-faire traditionnels de génération en génération, elles ont également contribué par le maintien d’une pêche traditionnelle à la préservation des mangroves. Or aujourd’hui, partout dans le monde, les mangroves disparaissent à une vitesse alarmante. D’après la FAO, l’Afrique a perdu près de 500 000 hectares de ses mangroves au cours des vingt-cinq dernières années. Et le Sénégal compte parmi les pays les plus touchés du continent avec près de 40 % de ses superficies perdues depuis les années 1970. C’est dans ce contexte que Carla Gueye souhaite aller à la rencontre de ces femmes afin d’explorer les rapports qui se jouent entre ces corps féminins immergées dans l’eau des mangroves, et les espaces naturels qui les entourent.
L’artiste réalisera des sculptures à l’aide de la technique traditionnelle du chaulage qui se transformeront au grès des manipulations des ostréiculturices et de l’agrégation des naissains de jeunes huitres à leur surface. Dans ce processus d’appropriation des objets humains par la nature, Corps Immergés interroge plus largement la manière dont nos interactions avec l’environnement peuvent nous changer et nous façonner.
Carla Gueye (France) Née en 1997 à à Saint-Michel. Elle vit et travaille à Paris.
Artiste pluridisciplinaire basée à Paris, Carla Gueye est diplômée de l’École Nationale Supérieure d’art de Cergy en 2022. Son travail, qui explore l’intime tout en interrogeant le métissage, résonne avec une histoire familiale plurielle enrichie de trois sphères culturelles (Afrique, Asie, Europe). Membre du collectif afro-féministe NMT (Not Manet’s Type), elle établit un travail de mémoire, amorce d’une exploration de ces cultures en grande partie confisquées et dont elle est issue. Elle souhaite développer un «art habitable» et émotionnel, inséparable de la vie et au plus proche d’une écologie sociale et artistique. En 2021 elle crée l’installation Exhibe lors d’une résidence artistique sous l’invitation de l’artiste griot Bocar Niang à Tambacounda (SN). Plus récemment, elle s’inspire du Kumpo, entités spirituelles originaires du Bois sacré en Casamance, dans lesquels elle emploie de manière ornementale des objets issus du quotidien de la femme sénégalaise comme le Bin bin (ou bijoux de corps), symbole de l’intimité, pour la biennale de Dakar 2024. Actuellement en résidence à Artagon à Pantin, son travail a notamment été découvert à l’occasion de l’Exposition 100% 2024 à la Villette.